A la découverte de Courrier

Le poète malheureux des bars et des filles de Marseille, celui des " nuits d'ivresse rigide ", avec " un air tragique de pâle voyou de White Chapel ", celui dont la " petite figure pâle " apitoyait " les femmes de nuit " (20 juillet 1921) a trouvé le bonheur en devenant le poète de l'amour conjugal. Cette simplicité de sentiments paraît si incroyable que les critiques continuent de lui inventer des aventures. Il s'amuse beaucoup à lire l'article, par ailleurs bienveillant, que lui a consacré un journaliste italien : Capasso, glosant sur " Soir " (" Sur ton épaule ma douce... "), conte-t-il, présume qu'il a " recherché un soir de cafard la muta et tepido compagnia d'una donna probabilmente indigena. Tu vois d'ici le ravissement de Geotte canaque ! " (12 janvier 1936). Louis Brauquier rompt volontairement avec le mythe romantique de l'écrivain à la passion déchaînée. On peut être à la fois bon mari et bon poète.

Heureux de son métier

On peut même être bon employé et, sur ce point, la dualité loin d'être un handicap, se révèle une nécessaire protection. La soumission aux exigences du métier n'aliène pas le poète, elle le détourne des séductions d'une existence d'homme de lettres. Là serait le danger. Dès 1921, Louis Brauquier l'explique à Audisio : " Que veux-tu aller faire à Paris ? Ce n'est pas la place des poètes. Si tu évites la publicité, qui te possède inévitablement, tu tomberas dans la chapelle, grande ou petite, et alors, c'est la petite vanité, la brasserie, l'étouffement, la vie littéraire enfin, c'est-à-dire entièrement tournée vers la littérature, cette horrible copie de la vie multiple. Vivre d'abord et rien que vivre. Écrire, c'est de l'à-côté obligatoire " (19 juin). Si l'écriture est une vocation (" nous y sommes forcés et nous le devons "), si le poète ne peut s'y soustraire, il ne la garde intacte que si elle reste un " à-côté ", si elle ne se confond pas avec une carrière, si elle surgit, nécessairement, en parallèle avec les activités d'une vie authentique.