A la découverte de Courrier

L'imprégnation des lieux

Les lettres à Audisio ne chantent donc pas seulement Marseille. Elles en disent les départs répétés vers ces ailleurs auxquels la relient les tracés rouges des cartes. Sydney, Nouméa, Alexandrie de 1926 à 1939 ; Shanghaï, Diego-Suarez, Saïgon, Colombo et de nouveau Alexandrie, Sydney, Nouméa de 1941 à 1960. Pour les besoins de son métier, le marin s'est fait nomade, attentif aux richesses des pays où il plante sa tente pour des séjours de trois années au plus. Lui demande-t-on un " papier " sur l'Australie pour un journal marseillais, il refuse, n'ayant que sarcasmes pour ceux qui passent et écrivent sans vergogne des banalités - " Ces journalistes me font tourner à l'aigre. " Pour lui, il veut s'imprégner comme ces voyageurs " qui ont vécu la vie des hommes dans le pays qu'ils ont écrit " (27 novembre 1927).

Louis Brauquier ne cultive donc pas l'exotisme, le pittoresque, le " reportage ". Il se laisse lentement imprégner par les lieux où il se trouve en poste et les décrit naturellement, quand les circonstances et le contexte de sa vie l'y conduisent. C'est un visuel et, longtemps avant de commencer de peindre, il saisissait comme des tableaux les paysages, les scènes et les décors décrits à son correspondant : " Notre véranda regarde vers la rade qui, la nuit, s'allume de ces feux sur l'eau, frères de ceux d'Alger et de Marseille et de tant d'autres ports que nous aimons " (7 novembre 1926). Même les mets les plus simples, qui vont constituer son repas, il les dévore d'abord des yeux : " Maintenant passons au menu. C'est aujourd'hui dimanche. A midi, salade de haricots blancs, oignons, tomate, persil, quelque chose de véritable et parfait de couleur " (25 septembre 1927). Non sans humour, ce passage suit une profession de foi dans son métier contrebalançant une condamnation des artistes et des originaux du monde littéraire. Le concret de l'existence, repas ou travail, est le meilleur remède contre les tentations de la fausse littérature. Et c'est à ce titre qu'apparaissent dans les lettres des descriptions précises.