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A LA DECOUVERTE DE COURRIER






    L'expérience de la dualité était familière au poète. Ses lettres de jeunesse expriment à la fois un trop plein de vie et un excès de désespoir. " J'ai, dit-il en 1920, un désir étonnant et une peur atroce " (9 mai). " Si je pouvais seulement me débarrasser de l'ironie et de ma sauvagerie, non ? Je deviens un être impossible, toujours enfermé dans mes existences multiples " (21 juin). Et pendant la guerre, mobilisé et malheureux : " J'ai l'étrange sensation d'être dédoublé ; je ne suis pas réellement ici, je continue à mener quelque part une existence heureuse. Autrefois, déjà, dans des poèmes, je m'interpellais, me tutoyais, maintenant je me suis disjoint. Jusqu'à ce que les deux moitiés de moi-même coïncident de nouveau, je ne serai qu'un pauvre bougre " (8 octobre 1939). Louis Brauquier eut toujours du mal à trouver cette coïncidence, à surmonter l'ambigiiité des appels qu'il portait en lui. La source de sa poésie et l'intérêt de ses lettres viennent en grande partie de ce déchirement intérieur, diversement ressenti et plus ou moins surmonté selon les temps.
   
    Libre de ses jugements
   
    Cette tendance au dédoublement n'explique pas seulement les aspects divergents de l'inspiration de l'oeuvre où se mêlent l'appel du grand large et la nostalgie du retour, la célébration de la patrie marseillaise et celle des grands ports étrangers, elle assure au poète une lucidité et une liberté de jugement qui l'empêchent d'être dupe. Signe de cette faculté de dédoublement, l'ironie envers soi-même comme envers les autres surgit souvent au détour de la phrase. Et toujours le poète refuse de sacrifier aux modes littéraires et artistiques. Toute la correspondance à Audisio retentit d'audacieuses déclarations contre les gens de lettres esclaves de l'esprit parisien et d'appréciations non conformistes sur les écrivains de son temps, surréalistes, Gide ou Pagnol. " Quant à la peinture, je mets à part, dit-il, et très haut Van Gogh ; Gauguin était un grand peintre avec une mentalité de primaire [...]. Quant aux autres, je crois qu'il va y avoir, dans quelques années, un déchet formidable où sombrera Picasso, le malheureux Utrillo, ce faux primitif, Bonnard, Vuillard, pâteux à souhait, Vlaminck qui peignait comme un porc, l'affreux Soutine et Chagall l'affreux. As-tu remarqué combien Renoir lui-même fait bien dans les calendriers ! " (14 décembre 1958). Toute sa vie, Louis Brauquier est resté un homme libre, comme Audisio l'en félicite en 1931 : " Je voudrais en être encore au temps où je croyais à la pureté de mes intentions, où mon destin, ma raison, ma peine et mon contentement étaient dans le prochain poème. Tu es resté plus près, beaucoup plus près. Plus près de toi à force de t'éloigner du reste. Je t'envie et t'admire et me recherche en toi " (23 mars).
   
   







Louis Brauquier par Roger Duchêne
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